No Land – Louis Jammes

 

La nomination nomade de l’Autre ou la photographie augmentée

 

Louis Jammes s’est toujours revendiqué photographe, c’est pourquoi il s’est toujours impliqué à poursuivre les prolongements de l’histoire de la représentation picturale par cette technique augmentée des moyens de la peinture et de l’écriture. Il ne veut pas croire cependant que l’image soit un langage universel, c’est ainsi qu’il ancre ses créations dans des réalités qu’il découvre sur les terrains des grands moments récents de l’histoire de l’humanité, quitte ensuite à se les approprier plastiquement par divers moyens de mises en fiction. Il a utilisé le polaroïd pour la tendresse de son émulsion apte à accueillir le trait et l’écriture, mais n’a pas hésité à le remplacer par la tablette graphique après la disparition du support. Il est également passé d’une photo de studio à des pratiques directes où les effets d’extrême lumination rejouent une mise à distance des corps dans des espaces en transition.
Si la photographie peut avoir valeur d’instance de nomination le passage dans cette œuvre des « Mythology », en anglais dans le titre, regroupant les grands noms des artistes des années 1980 proches du photographe aux anonymes de la rue ou des territoires en guerre constitue un tournant historique. Nommer par l’image et le texte éventuel ces invisibles sociaux commence sur les trottoirs de Barbès avec les Bag People dont toute la richesse se résume à un sac en plastique. L’histoire de l’art qui hante la pratique de Louis Jammes lui fait afficher sur les murs de Sarajevo, « en réalité le nom de rien qui puisse être représenté », ces anges laïques martyrs de l’Histoire. Repris vingt ans après sur les murailles d’un haut lieu du franquisme enfin défait ils annoncent une autre réincarnation, celle de la liberté et de la démocratie.

Invisibles aussi ces pygmées d’Ouganda chassés de leur territoire pour que les Etats Unis organisent un safari photo « de luxe » pour la protection des gorilles argentés. Les conditions temporelles de cette nomination sont liées au nomadisme de l’artiste, qui le déplace de cette Afrique touristique vers les places du Printemps Arabe et jusqu’au Grand Nord. Toujours guidé par la recherche des plus extrêmes lumières il se rend également dans le sarcophage de Tchernobyl puis à Fukushima où il photographie les lieux sans aucune présence humaine, gardant le témoignage oral des victimes pour son enregistrement vidéo. En revanche sa série réalisée en Sibérie a pour ambition de recenser par l’image ce petit peuple menacé, les Dolganes, eux aussi, nomades de la Toundra. Pour mieux revendiquer plastiquement ce voyage il transforme son errance documentaire en fiction chorégraphiée sur le support vidéo, avec pour avertissement « si tu ne danses pas tu risques de mourir ». Les aléas de la vie qui ont interrompu un long moment sa création l’ont amené à revendiquer un territoire de transit, c’est ainsi qu’il est revenu dans son Aude natale. En contrejour de ces paysages sublimes, qu’il noie de lumière, il a reconnu les silhouettes que les pouvoirs politiques préfèrent lointains des migrants victimes des guerres en Syrie et ailleurs. Il a suivi de nouveau ses frères du voyage imposé en Hongrie, en Serbie et à la frontière serbo-croate. Aucune surface des œuvres photographiques de Louis Jammes n’est intacte, elle est augmentée des écrits, dessins, éclats de lumière ou de matière chimique qui instaurent un dialogue avec les corps qui y résident. C’est que l’artiste est toujours en quête d’une réparation entre le nom et le lieu, toujours en quête d’amour, de réconciliation avec le double perdu, toujours menant sa guerre d’images pour que l’Autre y trouve un refuge.

Christian Gattinoni, Membre de l’Association Internationale des Critiques d’Art.

Biographie

Au début des années 80, Louis Jammes commence par photographier des artistes célèbres comme Julian Schnabel, Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Robert Combas, ou encore Andy Warhol, plongés dans un décor fabriqué rappelant l’univers de leur œuvre. Mais l’artiste cherche aussi à explorer le monde à travers son objectif, « à rendre compte du temps présent ». Toujours dans les années 80, mélangeant photographie et peinture, il descend alors dans la rue et fait le portrait des « Bag People » à Barbès, des anonymes posant devant un décor peint, qu’il change ainsi en héros le temps d’une séance photo.

Puis il se lance dans le domaine des reporters et des correspondants de guerre et part dans des pays ravagés par des conflits ou des fléaux où  «  Il ne cherche pas à nous livrer des informations ou à expliquer l’origine d’un conflit ; il regarde les gens vivre et les gens mourir, les gens tuer d’autres gens, l’humanité qui s’effondre cherchant à saisir ce qui ne se saisit pas : le moment où tout bascule, où tant de haine enfouie soudain ressuscite. Où nous devenons bêtes traquées, victimes d’autres bêtes prédatrices, tueurs et tués, piégeurs et piégés, violeurs et violés ? (1) »
Que ce soit en Tunisie avec les Palestiniens, chez les gitans, en Tchétchénie, à Berlin lors de la chute du mur (1991), à Tchernobyl (1990-1991), à Sarajevo (1993), en Afrique (1996), ou bien encore à Gaza (1996-97), et plus récemment en Égypte, Louis Jammes ne photographie pas la barbarie dans ses actes, mais des victimes, le plus souvent des enfants, seules dans un décor nu qu’il retravaille par la suite. « Il gratte avec un clou la matière (?), dessine des cordes, des flammes, accroche des ailes aux gamins inscrit les dates de prise de vue, comptabilise le nombre de morts dans la journée. Et puis il note en quelques phrases, ambiguës au possible, ses sentiments du moment (2) ». Il imprime ainsi sa propre souffrance sur celle de ses modèles.
De cette manière, il interprète de façon atypique et personnelle les grands événements tragiques de l’histoire au moyen de divers supports (toiles ou plaques métalliques enduites d’une émulsion photosensible, sérigraphies, jets d’encre, affiches) ainsi que d’effets graphiques et introduit de la beauté et de l’immortalité là où ne règnent que souffrance et chaos.

(1) – Olivier Cena – Télérama
(2) -Michel Guerin – Le Monde

Informations

Maison des Mémoires, 53 rue de Verdun, Carcassonne.
Du 12 mai au 10 juin 2017.
Ouvert du mardi au samedi de 9h à 12h et de 14h à 18h.
Entrée libre et gratuite.

 Vernissage le vendredi 12 mai 2017 à 18h30.

 Samedi 20 mai :
15h00 : Dialogue critique en présence de Louis Jammes et d’Alexandre Quoi, Docteur en histoire de l’art, Maître de conférences Université d’Aix Marseille et animé par Christian Gattinoni
17h00 : Lancement par Alin Avila du numéro « les artistes, quels engagements » de la revue AREA (http://www.areaparis.com)

 Site web :
https://louis-jammes.tumblr.com/